RÉALISME POÉTIQUE (cinéma français)

RÉALISME POÉTIQUE (cinéma français)
RÉALISME POÉTIQUE (cinéma français)

RÉALISME POÉTIQUE, cinéma français

En 1936, Julien Duvivier réalise un film demeuré célèbre: La Belle Équipe . L’anecdote était simple: des chômeurs montent une entreprise coopérative (une guinguette dans la banlieue parisienne) et se heurtent à de nombreuses difficultés. Le dénouement était différent selon l’une ou l’autre version: dans la version projetée sur les Champs-Élysées, l’entreprise échouait; inversement, elle réussissait dans la version présentée au public populaire. Ce clivage est exemplaire en ce qu’il permet de saisir, dans leur antagonisme, les deux grandes tendances de ce qu’on a appelé, d’une façon un peu vague, l’«école française». Entre 1930 et les années de l’occupation allemande, le cinéma français a reflété tour à tour le chômage, la montée de la gauche et la menace de la guerre. Mais cette réalité sociale a été restituée au cinéma selon deux axes différents. D’un côté, un cinéma qui se caractérise par son «engagement» (non pas un engagement militant, mais un état d’esprit fait d’optimisme et de combativité) et, esthétiquement, par la recherche d’un certain «typage» social. C’est l’évolution de Jean Renoir qui est, à cet égard, la plus exemplaire, surtout avec La vie est à nous (1936), film de propagande pour le Parti communiste, et La Marseillaise (1937), produit par le syndicat C.G.T. De l’autre, un cinéma qui met l’histoire immédiate à distance, volontiers pessimiste et même fataliste, plus préoccupé de créer non un typage, mais une mythologie sociale. C’est cette seconde direction (mythologie du fatalisme) qu’on a pu baptiser «réalisme poétique». Le trait commun aux cinéastes qui portent cette étiquette, c’est qu’ils partent du réel, du réalisme, sans l’intention d’y faire retour. L’adjectif «poétique» implique toujours une transfiguration qui est aussi une fuite. En ce sens, le réalisme poétique a très vite préfiguré ce qui devait être le repli du cinéma français pendant l’occupation allemande. Il l’a même préparé. Car ce cinéma qui s’efforçait au code, à la convention, sut s’accommoder d’un langage codé lorsqu’il ne fut plus possible de rien dire en clair.

Il y a des germes de réalisme poétique dans le «bon-garçonnisme» de René Clair (Quatorze Juillet , 1932) comme dans l’univers très personnel de Jean Vigo (Zéro de conduite , 1932). Mais c’est avec Jacques Feyder que commence à se mettre en place cette mythologie et ses héros: ratés, marginaux, déclassés deviennent à la fois victimes et porte-parole implicites (Le Grand Jeu , 1934; Pension Mimosas , 1935). Avec l’imminence de la guerre, c’est le thème de la fatalité qui devient peu à peu central. Quant à Duvivier (La Bandera , 1935; Pépé le Moko , 1936; Carnet de bal , 1937; La Fin du jour , 1939), ce sont respectivement le «perdant-né», les ratés de la vie et leur mort qui l’intéressent par une sorte de fatalité indifférente. Marcel Carné (associé à Jacques Prévert) sera le grand cinéaste du réalisme poétique. Dès Quai des brumes (1938), il y ajoute une sorte de manichéisme naïf dont Gabin, l’acteur le plus célèbre du moment, est le héros déclassé, l’élu sans objet.

À partir de 1940, la nécessité de ne pas affronter la censure allemande, l’échec de celle-ci pour imposer au public français des films allemands vont permettre à une production française de subsister, mais sous le couvert d’un retour au passé, au mythe et au rêve. Il en est ainsi de L’Éternel Retour de Jean Delannoy (1943) ou de La Nuit fantastique de Marcel L’Herbier (1942), mais surtout des deux films les plus célèbres de Carné: Les Visiteurs du soir (1942) et Les Enfants du paradis (1943-1945).

Quant à la première tendance — celle de l’ancrage social —, elle va peu à peu (à travers les premiers films de Jacques Becker et de René Clément) se réaffirmer, tandis que les années quarante-cinq marquent la fin du réalisme poétique, la fuite devant le réel n’ayant plus lieu d’être. L’analyse des réalités politiques et sociales — fort décevantes — de l’époque échappant à un cinéma français brisé dans ses espérances, c’est le néo-réalisme italien (reconnaissant d’ailleurs, en Renoir notamment, sa dette envers le réalisme poétique français) qui prend le relais.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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